Les républicains du Lincoln project utilisent les réseaux sociaux contre Donald Trump
Un groupe de républicain dotés d’un budget limité ont créé en fin 2019 un groupe qui souhaitent empêcher la réélection de Donald Trump en utilisant le micro-ciblage de Facebook Ads.
Attention, cet article n’est pas politique mais vise à comprendre l’usage fait des réseaux sociaux en politique américaine.
Décodage de leurs stratégies sur les réseaux sociaux
J’ai essayé de comprendre la façon dont les actions étaient organisées.
L’essentiel : tirer sur la corde sensible
Dans une démocratie éduquée, on pourrait espérer que les électeurs votent avec leur tête, mais nous savons tous que les électeurs votent souvent avec leur cœur, pour ne pas dire avec leur tripes.
L’une de mes amies, française, la cinquantaine, indépendante, bac + 5 au moins, bien établie dans la vie et propriétaire à Paris me disait il y a quelques semaines qu’elle adorait Trump.
Surprise !
J’ai eu beau lui rappeler ses propos misogynes, racistes, sa trahison de ses alliés stratégiques, son jeu contre l'Europe, donc contre elle, le fait qu’il mente en permanence…
Ce à quoi elle répond : « Et Macron, il ne ment pas, peut-être ? ».
Elle me demande d’interrompre la conversion : elle me dit, que de toute façon, elle adore Trump. Elle est hermétique à tout argument rationnel et elle sait qu’elle ne changera pas d’avis.
Elle fait partie des personnes qui ont perdu toute confiance dans les autorités et dans les media, et donc, réputés anti Trump, dans le cas qui nous intéresse.
En revanche, des réseaux sociaux, on peut leur faire confiance… aussi longtemps qu’ils sont critiques à l’égard des autorités !
Même si elle est française et qu’elle ne vote pas aux USA, elle me semble représentative d’une partie de l’électorat Trump, qui n’est plus accessible aux arguments rationnels et qui échappe aux clivages politiques traditionnels.
Et c’est bien pour cette raison que les politiciens jouent, tous, encore plus que par le passé, sur l’émotion, mais Donald Trump est probablement le candidat à la présidentielle US qui a le plus joué dessus.
Il n’est donc pas étonnant que les opposants à Donald Trump dans son propre camp, dont on peut imaginer qu’ils ont eu accès privilégié aux données de la campagne digitale de Trump en 2016, aient utilisé cette stratégie.
C’est probablement ce qui explique que:
- Les membres du Lincoln Project ont choisi de diffuser des spots vidéos sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Youtube)
- Ces spots ne durent pas plus de 1mn30s, afin de ne pas trop solliciter les neurones des cibles, c'est l'inverse de Thinkerview pour les initiés...
- Une partie des spots jouent sur des défauts (réels ou présumés) de Trump qui suscitent une vive émotion : misogynie, racisme, irascibilité, faiblesse, collusion avec les dictateurs, irrespect des engagements des USA envers les alliés et bien évidement inconséquence dans la gestion de la covid 19
Les réseaux sociaux, mobile et email über alles
Fait inhabituel, le site lincolnproject.us n'est qu'un hub de redirection
Ce qui frappe lorsque l’on arrive sur le site web du Lincoln Project, avec un ordinateur est que l’on ne voit pas l’interface de navigation
On voit uniquement un pop up avec un montage vidéo pour susciter l’adhésion et un formulaire d’inscription à une newsletter pour maintenir le contact.
Lorsque l’on remplit le formulaire, on est invité à laisser son numéro de mobile, puis à faire une donation. Rien à voir avec les classiques sites de candidats.
Enfin, lorsque l’on referme le pop-up, on atterrit sur un page avec un timide burger menu, mais surtout un bouton « Make Donation », un autre « Get involved » et des liens vers les pages Facebook, Twitter, Instagram et Youtube ainsi que vers une page d’orientation vers les principales plateformes de podcasts.
Dans sa version desktop, l’experience utilisateur est vraiment mauvaise. Dans sa version mobile, tout va bien au contraire. Dans la vie, il faut faire des choix et là, le choix est en faveur du mobile.
La page Facebook
La page Facebook est classique et ne brille pas par ses publications. D’ailleurs, elle ne compte « que » un million d’abonnés, mais de nombreux « super fans ». Le Lincoln Project organise régulièrement des Facebook Lives. Fait notable, des dizaines de groupes locaux ont été créés.
Mais, le cœur de la stratégie Facebook semble être les campagnes publicitaires, très inspirées de celles de l’équipe de campagne Trump en 2016. Nous reviendrons dessus plus tard.
La page Instagram du Lincoln Project
Elle reste encore relativement classique : elle contient peu d’image à proprement parler, mais affiche surtout des citations et des vidéos.
La publication la plus représentative, la plus créative et la plus appréciée semble être un montage parodique d’un clip de campagne officiel du fils de Donald Trump Jr, qui est transformée par le Lincoln Project en critique acerbe des actions de Donald Trump.
Là encore, il semble que ce soit les campagnes qui soient au cœur de la stratégie Instagram du groupe.
Le compte Twitter du Lincoln Project
On retrouve les classiques d’un compte politique : extrait de débats où les soutiens de Donald Trump se sont faits coincés, des mèmes tournant Donald Trump en dérision et le relais des positions de leaders d’opinion.
La chaîne Youtube du Lincoln Project
Elle est relativement modeste (660k abonnés) et affiche des centaines de vidéos qui correspondent soit à du contenu créé spécifiquement pour la chaîne, soit à des contenus mutualisés avec d’autres réseaux sociaux comme Twitter, Instagram ou Facebook. En revanche, il est à noter que les vidéos les plus vues semblent correspondre aux clips vidéo qui ont fait l’objet de campagnes publicitaires de soutien sur Facebook. On peut donc imaginer que ces clips ont également été relayés via de la publicité sur Youtube.
Les campagnes publicitaires sur Facebook et Instagram du Lincoln Project
Elles semblent être au cœur du dispositif digital du Lincoln Project et être soutenues par des budgets se comptant en millions de dollars (5,5 millions entre mai et mi octobre 2020 uniquement sur la plateforme Facebook Ads).
Un minimum de 1900 publicités réparties au sein de quelques dizaines de campagnes ont été diffusées en 2020 sur Facebook et Instagram.
On peut distinguer trois types de campagnes (qui jouent, rappelons-le, toutes sur les émotions et évitent soigneusement d'entrer dans le programme de l'un ou l'autre des candidats)
1. Les campagnes nationales
Les mêmes messages assortis des mêmes visuels sont alors utilisés sur l’ensemble du territoire américains.
Toutes sont des campagnes vidéo.
C’est le cas de la Campagne « Donald Trump failed to get Coronavirus under control »
Plutôt ciblée sur les personnes âgées (se sentant plus menacées par la covid-19 ?), cette campagne d’octobre 2020 a été déclinée en au moins 41 campagnes par état et par groupe d’âge.
On trouve par exemple, une version de cette publicité (même visuel, même message) ciblant les plus de 55 ans (probablement avec un niveau d’enchère supérieur).
2. Les publicités ciblées sur les vieux électeurs des swing states
Ces campagnes semblent avoir pour objectif de faire basculer le petit nombre d’électeurs indécis qui font basculer les états qui tantôt font basculer la majorité des voix d’un état à un candidat démocrate, tantôt à un candidat républicain. Faire basculer ces « swing states » avaient constitué l’un des axes majeurs de la campagne digitale de Donald Trump en 2016, qu’il avait ciblé notamment grâce aux fameuses données Facebook collectées et analysées Cambridge Analytica. Les républicains avaient lancé des campagnes « émotionnelles » destinées à susciter ou amplifier la colère des électeurs indécis afin qu’ils votent contre le pouvoir en place (ie les démocrates).
Les sondages (source : Financial Times) donnent une avance de quelques points à Joe Biden en Floride, Caroline du Nord, Pennsylvanie, Arizona et Ohio qui n’est pas significative du point de vue statistique et susceptible de se retourner en quelques semaines (c’est exactement ce qui s’était produit en 2016 : Hillary Clinton affichait la même avance début octobre dans ces états qui avait finalement basculé dans le camp républicain le jour de l’élection).
Les républicains du Lincoln Project semblent donc avoir décidé de particulièrement soigner avec les mêmes techniques et les mêmes outils que Donald Trump en 2016.
Comment toucher ces électeurs qui ont été, jadis été sensibles au discours conservateurs des républicains en 2016 ?
En faisant parler un conversateur : un vétéran de l’armée à travers la campagne “Donald Trump isn't a conservative — he's weak “ qui a été essentiellement diffusées auprès des utilisateurs plutôt agés (et donc peut-être plutôt conservateurs) de Facebook résidant en Floride, Caroline du Nord, Pennsylvanie, Arizona et Ohio.
3. Les campagnes ciblées sur des groupes d’électeurs
Femmes des swing states
De façon plus tactique, des campagnes encourage les femmes à voter en affichant des soutiens féminins de Joe Biden, telle que la femme d’un ancien candidat républicain (John Mc Cain) comme dans cette campagne ciblant les femmes résidant en Ohio et Iowa, là encore des états indécis, pour faire basculer quelques dizaines de milliers d’électeurs dans le camp de Joe Biden.
Minorités des swing states
La campagne « El mal manejo de la covid 19 » cible les hispanophones de Floride et du Texas.
L’objectif est probablement à la fois de mobiliser ces minorités, probablement anti-trump, mais dont le taux de participation est relativement bas, soit pour faire basculer la Floride (swing state par excellence qui avait fait perdre la présidentielle à Bill Clinton en 2000) dans le camp démocrate, soit pour créer la surprise en modifiant l’issu quasi certaine de l’élection au Texas (état conservateur ayant majoritairement voté pour Donald Trump en 2016, mais où ce dernier ne possède que 4% d’avance sur Joe Biden, donc susceptible de basculer dans le camp de Joe Biden).
Youtube Ads
L’auteur de cet article n’a pas analysé dans le détail les campagnes Youtube Ads du Lincoln Project, mais suppose que la stratégie, du reste prévisible au vu de ce qui s’est passé en 2016, s’est calquée sur la stratégie d’investissement sur la plateforme Facebook Ads.
Les experts de Facebook Ads auront noté que cet article se hasarde à émettre des hypothèses sur les stratégies de ciblage des campagnes Facebook et passe sous silence le ciblage à base de centre d’intérêts et d’audiences personnalisées (retargeting de visiteurs du site, des opt-ins, des participants au groupe, des campagnes look alike…), ciblage sur lequel, il est difficile d’émettre des hypothèses et que l’on ne peut qu’en partie deviner en analysant le contenu des publicités.