Le cadre juridique de Club House : enregistrement, influence, données personnelles, squatting…
A-t-on le droit de diffuser de la musique dans ses rooms Club House, d’enregistrer les participants, de transformer ses followers en fichiers de prospects, de travailler avec des marques… autant de questions que les modérateurs doivent maitriser afin d’éviter les problèmes.
Viviane Gelles, avocate spécialisée dans le droit du numérique et affichant une large expérience, a accepté de participer à une room pour éclaircir avec un œil d’expert du numérique le cadre juridique de Club House.
Olivier Iteanu, pionnier du droit du numérique, a repris le flambeau lors d'une seconde room sur le même thème le 1er juillet 2021 et nous a apporté un éclairage complémentaire.
Voici la synthèse que le fondateur de la 24pm Academy, Raphaël Richard, a réalisé de ce qui a été échangé dans cette room. Cette synthèse n’engage pas Viviane Gelles et ce, d’autant moins que cette synthèse est enrichie d’éléments externes.
Les contraintes juridiques se situent au croisement de
- La réglementation officielle (les lois et décrets en vigueur en France)
- Des conditions générales d’utilisation de l’application
- La jurisprudence (c’est-à-dire les décisions des juges qui se prononcent sur des cas non traités spécifiquement par la loi)
La règlementation officielle inclut notamment le
- Le droit français classique (par exemple, en matière de diffamation ou de protection des marques)
- La réglementation européenne transposée en droit français (le RGPD, par exemple)
- La réglementation française ou européenne spécifique au digital, notamment la LCEN de 2004 ( Loi sur la confiance en l’économie numérique), des projets de loi relatives à la modération/régulation des plateformes (qui confierait au CSA un rôle de gendarme/surveillant des réseaux sociaux notamment), un projet de règlement européen (le digital services Act, présenté par l’UE en décembre 2020), par encore adopté et traduit en droit français
Les conditions d’utilisation de l’application
- Qui s’impose à l’utilisateur, mais qui sont souvent rédigés en anglais et sont plutôt calées sur le droit anglosaxxon
- Donc, qui sont parfois compatibles, parfois incompatibles avec le droit français auquel cas elles peuvent considérées comme nulles ou abusives
La jurisprudence
- Traite des cas borderline, non gérés explicitement par la loi et n’est pas facilement accessibles aux spécialistes du droit
- Est parfois surprenante et contraire au bon sens
Dans le cas de Club House, cela oblige à être attentif à un certain nombre de sujets, lorsque l'on est modérateur sur Club House.
- Cadrer les échanges afin qu’ils restent à l’intérieur des limites de la loi
- Utiliser des marques sur Club House, avec prudence
- Peut-on utiliser une marque dans son pseudo / nom d’utilisateur ?
- Peut-on utiliser une marque dans le nom d’une room ?
- Peut-on utiliser une marque dans le nom d’un club ?
- Peut-on diffuser gratuitement de la musique sur Club House ?
- Comment diffuser une musique protégée par des droits d’auteur ?
- Combien cela coûte-t-il de diffuser des musiques protégées par des droits d'auteur ?
- Les marques peuvent-elles animer des rooms ?
- Un influenceur/modérateur peut-il parler sur Club House d’une marque qui l’a rémunérée ?
- Un influenceur/modérateur peut-il parler sur Club House d’une marque qui ne l’a pas réunéré, mais qui lui a offert un produit ?
- Un influenceur/modérateur peut-il parler sur Club House d’une marque qui ne l’a pas rémunéré, qui ne lui a pas offert un produit/un service, mais qui a pris en charge des prestations pour son compte (par exemple, un voyage) ?
- Un influenceur peut-il animer une room Club House pour le compte d’une marque qui le rémunère pour ce service ?
- Peut-on enregistrer le contenu d’une room ?
- Les CGU de ClubHouse sont-elles valables en France ?
- ClubHouse respecte-t-il le RGPD ?
- Si je souhaite porter plainte contre Club House, où puis-je le faire ?
- Quelles sont mes obligations en matière de protection des données personnelles (RGPD) ?
- Les conversations sont-elles enregistrées par Club House ?
- Mes données personnelles sont-elles protégées sur l'application Agora sur laquelle repose Clubhouse ?
Cadrer les échanges afin qu’ils restent à l’intérieur des limites de la loi
Le modérateur doit cadrer les conversations afin que les propos tenus ne dépassent pas les limites de la loi, par exemple, en matière de :
- Apologie de crime de guerre ou contestation de crimes de contre l’humanité
- Provocation à la discrimination haine, incitation à la violence
- Injures, dénigrement et diffimation
- Pédopornographie, détournement de mineurs.
A priori, cela ne concerne pas encore de trop le Club House francophone, mais, avec le développement du réseau, ces problématiques se poseront peut-être davantage à l’avenir et anticiper la gestion de ces situations pourrait être salutaire pour les rooms grand public.
Utiliser des marques sur Club House, avec prudence
Une société acquiert des droits d’usage sur une marque en l’enregistrant à l’INPI. Cette marque peut être simplement protégée en France pour une activité donnée pour 200€ à 300€ pour une durée de dix ou dans le monde entièrement pour quelques milliers d’euros pour une durée d’un an renouvelable.
Pour savoir si une marque a été revendiquée, vous pouvez vous rendre sur le site de l’INPI https://bases-marques.inpi.fr/
Il est également possible d’acquérir des droits sur un nom commerciale simplement en déposant un nom de domaine, par exemple et en l’exploitant (à condition qu’aucune autre personne n’ai créé un nom de domaine similaire ou déposer une marque)
Notons qu’une marque est protégé pour une ou plusieurs activités, mais rarement pour toutes les activités.
Vous commencerez, donc potentiellement, à avoir des problèmes sur Club House si vous utilisez une marque existante déposée à l’INPI ou un nom commercial créé par une entreprise sur la même classe d’activité qu’elle.
Il est possible que les titulaires de la marque ne soit pas au courant que vous faites usage de leur marque sur Club House ou qu’ils tolèrent son utilisation par vos soins. Cela semble être le cas pour le Ricoré Club, animé chaque début de journée (la marque Ricoré appartenant à Nestlé, mais les modérateurs de la room n’étant pas affilié à cette marque).
Peut-on utiliser une marque dans son pseudo / nom d’utilisateur ?
Oui, pour un usage non commercial.
Oui, pour un usage commercial sur une activité différente de celles sur laquelle la marque a été déposée.
Non pour un usage commercial sur une activité identique ou proche à celle sur laquelle la marque a été déposée.
Note : certains cybersquatters de nom de domaine ont déposé de noms de domaine correspondant à des marques avec pour projets de les revendre à des marques contre quelques milliers d’euros à leurs propriétaires légitimes, ces derniers souhaitant éviter un procès dont le coût serait supérieur et l’issu potentiellement aléatoire. Il est possible que certains squatters de marque sur Clubhouse adoptent la même stratégie.
Peut-on utiliser une marque dans le nom d’une room ?
La réponse est du même ordre.
Oui, pour un usage non commercial.
Oui, pour un usage commercial sur une activité différente de celles sur laquelle la marque a été déposée.
Non pour un usage commercial sur une activité identique ou proche à celle sur laquelle la marque a été déposée et pour vendre des produits ou services concurrents de la marque.
Peut-on utiliser une marque dans le nom d’un club ?
La réponse est du même ordre.
Oui, pour un usage non commercial.
Oui, pour un usage commercial sur une activité différente de celles sur laquelle la marque a été déposée.
Non pour un usage commercial sur une activité identique ou proche à celle sur laquelle la marque a été déposée.
Petite précision : il existe déjà de nombreuses structures hors Club House dont le nom commence par « Club ». Par exemple, le « Club des entrepreneurs » qui est une structure existant dans le monde réel. Créer un club sur Club House qui ciblerait les française et qui s’appelerait « Club des entrepreneurs » exposerait son créateur à des poursuites de la part du véritable « club des entrepreneurs ».
Peut-on diffuser gratuitement de la musique sur Club House ?
Oui, oui, oui et non.
Oui, si vous êtes l’auteur et l’interprète de la chanson/musique
Oui, si l’auteur/interprête de la chanson vous y autorise.
Oui, si la musique est libre de droit.
On trouve de nombreux morceaux libres de droit sur internet. Il suffit de localiser des sites qui proposent des morceaux libres de droit qui peuvent être diffuser dans votre room Club House.
Oui, si vous diffusez un court extrait de quelques secondes d’une chanson qui n’est pas libre de droit.
C’est toléré, mais la jurisprudence interdit, par exemple, de diffuser plusieurs courts extrait d’une même chanson
Non, si la musique est protégée et ne peut être utilisée sans autorisation
Auquel cas, vous devez payer pour l'usage de la musique
Comment diffuser une musique protégée par des droits d’auteur ?
Il faut contacter la SACEM et souscrire un contrat avec cette dernière.
Combien cela coûte-t-il de diffuser des musiques non libres de droit sur Club House ?
Cela dépend de l’usage commercial ou non de la musique et des offres de la SACEM.
Il peut s’agir un forfait à l’année de quelques dizaines d’euros ou de quelque centaines d’euros pour un particulier ou une administration.
Pour une entreprise, les forfaits sont plus élevés.
Attention, il n’existe actuellement pas d’offre « officielle » de la SACEM concernant la diffusion sur Club House. Il faut donc contacter la SACEM pour obtenir un devis sur mesure.
Les marques peuvent-elles animer des rooms ?
Oui
Les marques doivent communiquer en tant que telles, sans cacher le fait qu’il s’agit d’une communication de marque.
Un influenceur/modérateur peut-il parler sur Club House d’une marque qui l’a rémunéré ?
Oui
Il doit signaler qu’il a été rémunéré (en évoquant un « partenariat commercial », par exemple).
Un influenceur/modérateur peut-il parler sur Club House d’une marque qui ne l’a pas rémunéré, mais qui lui a offert un produit ?
Oui
Il doit signaler qu’il a reçu une contrepartie (en évoquant un « partenariat commercial », par exemple).
Un influenceur/modérateur peut-il parler sur Club House d’une marque qui ne l’a pas rémunéré, qui ne lui a pas offert un produit/un service, mais qui a pris en charge des prestations pour son compte (par exemple, un voyage) ?
Oui
Il/elle doit signaler qu’il/elle a reçu une contrepartie (en évoquant un « partenariat commercial », par exemple).
Un influenceur peut-il animer une room Club House pour le compte d’une marque qui le rémunère pour ce service ?
Oui.
Il/elle doit signaler qu’il/elle a été rémunéré/e (en évoquant un « partenariat commercial », par exemple).
Peut-on enregistrer le contenu d’une room ?
Oui sous conditions.
Les modérateurs peuvent enregistrer leurs interventions sans autorisation du moment qu’ils se soient mis d’accord entre et rediffuser ces enregistrements ultérieurement.
Les modérateurs peuvent enregistrer l’ensemble de la room y compris les participants à conditions de :
- Obtenir « l’autorisation expresse » des participants. Dans l’idéal, par écrit (mais difficilement irréalisable) ou par oral lorsque la personne monte sur la scène (« nous autorises-tu à t’enregistrer ? » « Oui »)
- Ajouter de la mention REC pour se former aux désiderata des fondateurs de Club House (qui ne suffit pas pour se mettre à l’abri des problèmes des juristes)
Accessoirement, il est à noter que l’autorisation d’enregistrer une personne, ne vaut pas son accord pour la ré-exploitation des enregistrements sur tous supports.
Autrement dit, même si vous avez obtenu une autorisation d’enregistrement, il est possible qu’une personne enregistrée peut vous demander des comptes si vous ré-exploitez vos enregistrements, sans qu’elle ne les aient autorisés spécifiquement.
Les CGU de ClubHouse sont-elles valables en France ?
Dans leur grande majorité, oui.
En revanche, les tribunaux compétents annoncés, par exemple, ne sont pas ceux de la Californie comme mentionnés dans les CGU à date, mais bel et bien les juridictions françaises. Les clauses qui iraient à l’encontre seraient considérées comme abusives.
ClubHouse respecte-t-il le RGPD ?
Depuis la mise à jour des CGU du 5 avril 2021, Club House respecte une partie du RGPD.
Il est à noter qu’attendu que les données personnelles, sont hébergées en partie, aux Etats-Unis, en partie sur des serveurs appartenant à une entreprise chinoise, Club House ne peut par définition être entièrement compatible avec le RGPD : aux Etats-Unis, le « cloud act » permet à la justice américaine d’accéder aux données personnelles d’une entreprise américaine qu’elle héberge ses données aux USA ou ailleurs. En Chine, sans passer par la justice, les start ups ont l’obligation de donner accès au gouvernement aux données personnelles.
Suite à 15000 signalements émanant de français, la CNIL a lancé une enquête sur les protections des données personnelles sur Clubhouse.
Si je souhaite porter plainte contre Club House, où puis-je le faire ?
Le tribunal compétent ne peut être celui de la Californie comme indiqué dans les CGU. C’est une clause abusive. Tout utilisateur peut attaquer dans un tribunal compétent au niveau local. En l’occurrence, la France, s'il réside en France.
Quelles sont mes obligations en matière de protection des données personnelles (RGPD) ?
Vous avez les mêmes obligations sur Club House qu’en dehors dès lors que vous collectez des données personnelles sur Club house au titre du RGPD, par exemple, les noms des personnes, leurs photos, les informations de leurs profils…
Les conversations sont-elles enregistrées par Club House ?
Les informations qui circulent sur ce sujet, ne sont pas toutes cohérentes. Les conversations seraient conservées durant 24 heures sauf exception.
Mes données personnelles sont-elles protégées sur l'application Agora sur laquelle repose Clubhouse ?
La société Agora qui fournit la technologie de gestion des flux audio de Club House, étant de droit chinois, il est peu probable que les données personnelles qu'elle collecte soit exploitée en conformité avec le RGPD
Diffamation et preuve
Le cas a été posé dans une room où des propos négationnistes et racistes ont été tenu par une personne. L'un des participants à la room s'est permis d'enregistrer la room en vidéo afin que l'on puisse identifier les personnes qui s'exprimait. Ce participant a ensuite, diffusé cette vidéo sur Twitter. L'un des participants à la room a fait un rapport relatant les propos tenus à Club House et demander à Twitter de dépublier cette vidéo qui enfreignait de multiples façons la loi. Twitter n'a pas répondu à cette demande, la vidéo étant toujours en ligne à l'heure actuelle.
Olivier Iteanu a constaté que ce cas était complexe, puisqu'il réunissait à la fois des problèmes relatifs au droit à l'image, à la diffamation, aux données personnelles et à la responsabilité des hébergeurs.