L'intelligence artificielle dans le journalisme
L’intelligence artificielle et le futur du journalisme
Les retombées économiques de la pandémie COVID-19 ont provoqué une crise sans précédent dans le journalisme qui pourrait décimer les organisations de médias dans le monde entier.
L'avenir du journalisme - et sa survie - pourrait se trouver dans l'intelligence artificielle (IA). L'IA désigne "des machines intelligentes qui apprennent de l'expérience et accomplissent des tâches comme les humains", selon Francesco Marconi, professeur de journalisme à l'université Columbia de New York, qui vient de publier un livre sur le sujet : Newsmakers, Artificial Intelligence and the Future of Journalism.
Marconi a dirigé le laboratoire médiatique du Wall Street Journal et de l'Associated Press, l'une des plus grandes organisations de presse au monde. Sa thèse est claire et incontestable : le monde du journalisme ne suit pas l'évolution des nouvelles technologies. Les salles de rédaction doivent donc tirer profit de ce que l'IA peut offrir et proposer un nouveau modèle économique.
Pour Marconi, les journalistes et les propriétaires de médias sont absents et l'AI doit être au cœur du modèle économique du journalisme à l'avenir. En tant que professeur de journalisme à l'Université du Québec à Montréal, je suis de près l'évolution de cette profession depuis 1990, et je suis pour l'essentiel d'accord avec lui.
Au Canada, l'agence de presse La Presse Canadienne est, par exemple, l'un des rares médias à utiliser l'IA dans ses salles de rédaction. Elle a développé un système pour accélérer les traductions basées sur l'IA. L'agence de presse _Agence France-Presse_ (AFP) utilise également l'IA pour détecter les photos truquées.
L'IA ne remplace pas les journalistes
L'intelligence artificielle n'est pas là pour remplacer les journalistes ou supprimer des emplois. Marconi pense que seules 8 à 12 % des tâches actuelles des journalistes seront prises en charge par des machines, ce qui réorientera en fait les rédacteurs en chef et les journalistes vers des contenus à valeur ajoutée : journalisme de fond, interviews de fond, analyses, journalisme axé sur les données et journalisme d'investigation.
Pour l'instant, les robots de l'IA effectuent des tâches de base comme la rédaction de deux à six paragraphes sur les résultats sportifs et les rapports trimestriels sur les bénéfices à l'Associated Press, les résultats des élections en Suisse et les résultats olympiques au Washington Post. Les résultats sont convaincants, mais ils montrent aussi les limites de l'IA.
Les robots d'IA qui analysent de grandes bases de données peuvent envoyer aux journalistes de Bloomberg News une alerte dès qu'une tendance ou une anomalie se dégage des grandes données.
L'IA peut également faire gagner beaucoup de temps aux journalistes en transcrivant des interviews audio et vidéo. L'AFP dispose d'un outil pour cela. Il en va de même pour les grands reportages sur la pollution ou la violence, qui s'appuient sur de vastes bases de données. Les machines peuvent analyser des données complexes en un rien de temps.
Ensuite, le journaliste fait son travail essentiel de vérification des faits, d'analyse, de contextualisation et de collecte d'informations. L'IA peut difficilement remplacer cela. En ce sens, l'homme doit rester au centre de tout le processus journalistique.
Un modèle économique brisé
Marconi a tout à fait raison lorsqu'il explique que les médias doivent développer un modèle d'abonnement payant, se rapprocher de leurs communautés avec un contenu encore plus pertinent, développer de nouveaux produits (bulletins d'information, événements, podcasts, vidéos) et de nouveaux contenus. L'IA peut faciliter une partie de ces activités en générant des nouvelles personnalisées : des recommandations pour les lecteurs, par exemple.
En ce sens, l'IA fait partie d'un nouveau modèle commercial basé sur le décloisonnement des médias. Il doit y avoir une symbiose dans le sens de l'établissement d'une "étroite collaboration" entre la rédaction et d'autres équipes médiatiques telles que les ingénieurs, les informaticiens, les statisticiens, le personnel de vente ou de marketing.
Dans une salle de rédaction, plus que jamais, les bases de données doivent être utilisées pour trouver des articles qui sont pertinents pour les lecteurs, les auditeurs, les téléspectateurs et les internautes.
Et il existe déjà divers outils d'IA pour détecter les tendances ou les sujets brûlants sur l'internet et les médias sociaux. Ces outils peuvent également aider les salles de rédaction à diffuser du contenu.
Attention aux préjugés
Bien entendu, il faut tenir compte de la taille de la salle de rédaction. Un petit hebdomadaire ou un média hyper local n'a peut-être pas les moyens d'agir rapidement en adoptant l'IA. Mais pour les autres, il est important de commencer à agir immédiatement. Les journalistes doivent être mieux formés et commencer à travailler avec les start-ups et les universités pour en tirer le meilleur parti. L'IA n'est pas une mode. Elle est là pour rester.
Prenons l'exemple actuel de COVID-19. C'est l'occasion d'analyser les données de santé publique pour établir des liens, analyser et approfondir les données quartier par quartier et rue par rue. L'IA peut vous aider dans cette tâche. Mais il faut des rapporteurs de données bien formés pour faire ce travail.
L'un des dangers de l'IA, d'autre part, est le biais des algorithmes. Comme les algorithmes sont conçus par des humains, il y aura toujours des biais qui peuvent altérer l'analyse des données et entraîner de graves conséquences. Et la vérification humaine du contenu avant la publication restera toujours une garantie contre les erreurs.
L'IA a également contribué au développement de systèmes de détection des fausses vidéos (deepfakes) et des fausses nouvelles, qui sont bien sûr soutenus par des journalistes expérimentés de Reuters et de l'AFP, par exemple.