Interview de Joëlle Verbrugge, auteur de IA et Image: guide juridique
Joëlle Verbrugge, avocat traitant depuis des années sur le droit à l'image, parle de son dernier livre sur les relations entre droit et IA générative.
Raphaël RICHARD
Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage. Quel est son fil rouge ?
Joëlle VERBRUGGE
Un fil rouge peut être décelé dans l’ouvrage : la mise en garde contre l’utilisation aveugle de l’IA et la recherche de l’équilibre avec les droits individuels et les libertés fondamentales.
Au fil des chapitres, l’attention du lecteur est attirée sur le délicat équilibre à conserver entre l’attrait pour la nouveauté et les prouesses techniques, d’une part, et les risques – visibles ou prévisibles – d’autre part.
Chacun des sujets abordés, au fil des chapitres, met en balance ces intérêts en conflit, et force le lecteur à dépasser les évidences :
- Sur le terrain du droit d’auteur (Chapitre 2), les interrogations sur la protection des droits des auteurs des œuvres préexistantes (en amont de l’apprentissage des IA) sont confrontées aux questions relatives aux œuvres créées par l’IA. Qui détient éventuellement des droits sur ces œuvres, et, surtout, ces droits sont-ils concevables dans leur principe, nonobstant les éventuelles atteintes aux droits des auteurs « humains » dont les œuvres ont nourri l’I.A. ?
- Sur le terrain du droit à l’image et au respect de la vie privée (Chapitre 3), à travers de multiples situations pratiques et sujets abordés (Deepfakes en tête, mais également l’utilisation de l’image des défunts, etc.), l’équilibre est recherché entre la créativité des utilisateurs de l’IA et les dégâts considérables qui peuvent être causés aux individus.
- Sur le terrain de la liberté d’expression artistique (Chapitre 4), l’ouvrage s’interroge sur la réalité et les conséquences d’une prise de contrôle par les sociétés exploitant les IA, via les logiciels installés de façon locale sur les ordinateurs, de façon à limiter ou brider l’expression artistique des créateurs d’images. À l’aide d’un exemple très concret et illustré, des questions précises sont posées, dont la réponse doit obligatoirement être recherchée, puis discutée.
- Les questions éthiques sont largement débattues (Chapitre 5) : comment la création visuelle à l’aide de l’IA à des fins journalistique peut-elle rester conforme à la Charte de Munich ? Comment la publicité commerciale aidée par l’IA peut-elle satisfaire aux règles de protection des consommateurs ? Quelles sont les incidences pratiques inavouées derrière les « jeux/concours » invitant les consommateurs à autoriser l’utilisation de leur image par l’IA ? Le monde de la mode peut-il s’affranchir des mannequins humains au prétexte de créer des visuels « plus inclusifs » (et moins chers) ? La possibilité pour l’IA de nous affranchir de tâches répétitives justifie-t-elle le recours systématique à de la main d’œuvre principalement située dans les pays pauvres afin d’assurer la phase d’apprentissage des IA ?
- Sur le terrain des Beaux-Arts (Chapitre 6), l’ouvrage s’interroge ensuite sur les bienfaits de l’utilisation des techniques liées à l’IA dans le but de valoriser le patrimoine artistique, la restauration ou l’authentification d’œuvres, mais également sur les limites juridiques de la diffusion des œuvres « synthétiques » par les utilisateurs de l’IA, notamment au regard du droit des contrats et des dispositions fiscales.
- Plongeant ensuite dans le métavers et la réalité augmentée, l’ouvrage s’interroge sur les aspects juridiques en lien avec le droit d’auteur mais également le droit à l’image et au respect de la vie privée de ces mondes « parallèles » dans lesquels une activité se développe, ayant des conséquences juridiques réelles.
- Enfin, plus préoccupant encore, l’ouvrage aborde la question de la société de surveillance : vidéosurveillance algorithmique, reconnaissance faciale, constitution de bases de données de plus en plus vastes au mépris de la protection des données personnelles, de la vie privée et des libertés fondamentales. En examinant le cadre légal souvent piétiné par les gouvernements qui avancent à marche forcée vers une société technocratique. Plus que sur tout autre sujet, la réflexion doit être menée de manière large, ce qui impose qu’au préalable, les citoyens soient informés. En prenant pour exemples concrets (documentés et sourcés) certains projets réellement dystopiques, et pourtant déjà bien avancés, l’ouvrage confronte ces avancées technologiques avec le cadre légal insuffisant et souvent ignoré
Le tout est analysé sous l’angle juridique, avec toutefois d’innombrables références journalistiques et sociologiques. L’ouvrage aborde autant le droit français ou européen que les droits des principaux systèmes juridiques étrangers, de façon à permettre une comparaison, dans cette matière en pleine construction. L’ouvrage ne se positionne pas « CONTRE » l’I.A., mais recherche la préservation des droits existants, et la sauvegarde des libertés fondamentales qu’un tel outil pourrait très rapidement.