Transformation digitale

Metaverse: potentiel, exemples, dangers et impact écologique

Tous les gourous promettent que l’avenir d’internet est le metaverse. Son potentiel atteindrait $1000 milliards. Pas si certain. Attention, il s'agit d'un double mirage: économique et écologique.

Vous l'avez (presque) partout: l’avenir d’internet est le metaverse.

Des milliers de start-ups lèvent des fonds pour le construire.

Certaines marques le testent, par crainte de louper le prochain virage d’internet.

Vous vous dites peut-être qu'il va falloir vous y intéresser, d'autant que vous ne comprenez pas à quoi il ressemble ou va ressembler.

Je pense que non seulement, il y a peu de chances que toutes ces prédictions se réalisent, mais qu’en outre, le metaverse dommageable pour nous en tant qu’humains habitant une planète que l'on sait désormais fragile.

Pour les lecteurs qui n’ont pas le temps, voici un résumé en une page:

  • Les metaverses qui existent depuis une quinzaine d’année ne parviennent à occuper que des niches et n’arrivent pas à percer dans le grand public,
  • Le metaverse n’est devenu un sujet populaire que depuis fin octobre 2021, lorsque Facebook a décidé d’utiliser le concept de Metaverse, pour redonner des perspectives aux investisseurs, face à l’érosion de son business model historoque qui se fonde sur la sur exploitation de données personnelles devenues plus difficile à capter,
  • Sans cela, le metaverse resterait un sujet de spécialistes à la réalité virtuelle qui reste cantonnée à des niches depuis 15 ans,
  • Or, la réalité virtuelle, technologie centrale du metaverse, ne parvient pas à percer dans le grand public, parce qu’elle fatigue les organismes : on peut rester 3 heures à regarder des vidéos Tik Tok abrutissantes, mais rester 1 heure dans un univers virtuel en 3D fatigue beaucoup plus,
  • Mais des milliers de start-ups, de consultants, de gourous, d’organisateurs de salon, d’influenceurs ont pris le train du metaverse en marche, pour vendre ce qu’ils ont à vendre : des projets pour des levées de fonds, du conseil, des prestations de développement ou … du vent pour les influenceurs,
  • Des promoteurs de technologies qui avaient des difficultés à décoller et sans aucun rapport à priori avec le metaverse, sont également montés dans le train : réalité augmentée, NFTs, Blockchain notamment, ce qui a eu pour effet que l’on associe parfois le metaverse au Web 3 (normalement centré sur le concept de décentralisation),
  • Le monde du jeu vidéo a récemment rejoint le mouvement,
  • Toutes ces populations espèrent convaincre le reste du monde, à force de répéter le même message que le metaverse représente l’avenir de l’internet,
  • Les media soutiennent la mode du metaverse en communiquant jusqu’à plus soif sur les innovations autour du metaverse d’Axa, de LVMH ou de Gucci. Les media jouent le jeu car cela permet de faire de l’audience, les marques s’y retrouvent grâce à la couverture gratuite que cela leur procure, mais, conservez en tête qu’il ne s’agit que de tests, sur les résultats desquels, vous n’aurez jamais de feed back,
  • La majorité des utilisateurs réels du metaverse sont actuellement des geeks, des joueurs de jeux vidéo, des spéculateurs ou des influenceurs qui tentent leur chance sur de nouveaux réseaux,
  • Il n’y a pas de demande importante pour le metaverse en dehors des joueurs de jeux vidéos,
  • En revanche, il est probable que le metaverse présente des opportunités très spécifiques, pour les professionnels du marketing digital, mais qui seront limitées : certaines entreprises parviendront à y décrocher générer des ventes, à y communiquer de façon plus efficace sur certaines opérations, à y dispenser des formations spécifiques, certains consultants parviendront à faire décoller leur notoriété…
  • Les entreprises "normales" devront faire preuve d'énormément de discernement pour identifier et exploiter ces opportunités,
  • Le metaverse est l’archétype de la fuite en avant du système économique actuel. Comme on ne parvient pas à trouver de solutions pour rendre compatible le système économique actuelle avec des contraintes physiques indiscutables, on lance de nouvelles activités comem si de rien n’était : à un moment où l’on sait que les émissions de CO2 vont largement dépasser les 1,5°C et rendre de nombreux endroits de la planète invivables d’ici 10 ou 20 ans en même temps qu’elles feront disparaitre des îles, habitées, de la surface du globe, on assure la promotion du metaverse, qui repose sur la multiplication de data centers très puissants et la fabrication de nouveaux équipements permettant d’y accéder (comme les masques/lunettes de réalité augmentée). Le tout va fortement contribuer à augmenter encore les émissions de CO2 et accélérer le réchauffement climatique, c’est-à-dire à dégrader l’habitabilité de la planète.

Fin du résumé pour les pressés 😊

 

Le détail pour ceux qui prennent le temps de comprendre

Les origines du metaverse

Avant de rentrer dans le vif du sujet, redéfinissons ce qu’est le metaverse.

Le terme metaverse est un mot valise résultant de l’addition des termes Meta et Universe, qui a été inventé par un auteur de science-fiction pour désigner des mondes virtuels en 3D au début des années 1990, avant même la création du web.. Chacun y est représenté par un avatar numérique, qui peut nous ressembler ou être à l’opposé de notre apparence physique. Nous contrôlons cet avatar qui construit, discute, voyage, négocie et socialise avec les autres membres de cet univers.

Ce concept est progressivement devenu une réalité « grand public » lors du lancement en première mondiale du "Deuxième Monde" par Canal Plus (Cocoricco !) en s'appuyant sur le protocole VRML (un language de modélisation en 3D). A cette époque, ce monde virtuel est réservé à une élite, mais propose les mêmes promesses que le metaverse de Marc Zuckerberg 25 ans plus tard.

Le Deuxième Monde de 1997 ressemble étonnamment aux metaverses actuels..

Mais c'est une dizaine d'années plus tard que le concept de metaverse s’est vulgarisé, notamment, avec l’apparition d’un réseau social en ligne, dénommé Second Life. Mais seuls une poignée d’initiés utilisaient le terme « Meta Verse ». Second Life a connu un succès planétaire dans les media en 2007. Cette année étant celle de l’élection présidentielle en France, on a même vu plusieurs candidats créer une permanence électorale en 3D, Jean-Marie Lepen (en décembre 2006, pionnier parmi les pionniers du metaverse en politique), Ségolène Royale (janvier 2007) et finalement Nicolas Sarkozy (en février 2007).

Permanence de campagne électorale de Jean-Marie Lepen en 2007 sur Second Life

Comme tous les autres réseaux sociaux de cette époque, le soufflé est, ensuite, retombé et les internautes sont passés à autre chose. 73 millions d'internautes y ont créé un compte, mais moins d'un million s'y rendaient au moins une fois par mois fin 2021. Très peu de réseaux sociaux qui connaissent une heure de gloire planétaire, parviennent à la fois à stabiliser leur audience et à trouver un business model qui leur permette de devenir pérenne.

OK Boomer, t'as rien compris au metaverse

Les millenials qui lisent cet article vont me lancer un « OK Boomer, tu es obsolète, le contexte est différent aujourd’hui et notre génération va faire décoller le metaverse. Les plus de 50 ans ne peuvent pas comprendre ». Ils auraient raison : ce n’est pas parce que Second Life qui n’est qu’une itération, parmi d’autres, du concept de metaverse, a échoué à devenir mainstream, il y a 15 ans, que 100% des metaverses qui seront créés dans les 1000 prochaines années, sont appelés à connaître le même sort.

Après tout, il a fallu que des dizaines de milliers sites d’ecommerce vont le jour et ferment leurs portes entre 1995 et 2005, pour que l’ecommerce devienne, ensuite, incontournable. Il a fallu des centaines de réseaux sociaux comme Friendster, Overblog, Myspace et Skyblog pour qu’un réseau social pérenne émerge (Facebook) à la fin des années 2000.

Et surtout, l’adoption des technologies est, selon moi une affaire de génération : c’est la génération X qui a poussé au développé de l’internet et de l’ecommerce, la génération Y qui a fait décoller les premiers réseaux sociaux et le mobile commerce, mais aussi plus récemment les cryptos.

De là, pourquoi la génération Z, biberonnée aux écrans connectés encore davantage que la Y, ne voudrait pas vivre dans un univers 100% virtuel ?

Par ailleurs, en tant que webmarketer, nous ne devons pas confondre ce que vous aimons avec ce que souhaite les cibles que nous désirons toucher. Si la cible se trouve sur une chaîne de télévision spécialisée dans la télé réalité ou sur un réseau social abrutissant, de nombreuses marques d'y acheter de la publicité.

Mais, toujours en tant que webmarketeurs, nous ne devons pas confondre pour autant, les effets de modes avec les tendances de fond.

Voici maintenant pourquoi je pense que le métaverse tel que le présentent actuellement les gourous, ne se matérialisera pas.

Il va se développer, mais pas constituer la révolution que certains annoncent.

Son développement sera plus lent que prévu et pas un nouvel internet de l'ampleur de l'internet classique ou du web 2 (l'internet des réseaux sociaux).

Facebook et le pari de « Meta »

Le regain d’intérêt pour le Metaverse remonte à une annonce de Facebook qui s’inscrit dans un contexte très particulier et difficile pour cette entreprise.

Tout le monde semble l’avoir oublié, mais c’est Facebook qui a refait du Metaverse un sujet, qui n’était qu’un délire de geek ou de professionnels de la réalité augmentée.

Ce changement de marque et de positionnement est initié courant juillet 2021 par Mark Zuckerberg qui annonce lors d’une présentation peu médiatisée « we will effectively transition from people seeing us as primarily being a social media company to being a metaverse company”.

Démonstration d'un prototype du futur Metaverse de Facebook/Meta

Mais, ce n’est que fin octobre 2021, que Facebook fait émerger le sujet du Metaverse et annonce que la société Facebook devient Meta, comme Meta verse, parce que son avenir sera le metaverse.

L’objectif non officiel, selon moi, est, en réalité, de protéger le cours de bourse de Facebook, appelé à dégringoler, mais de sa capacité à collecter des données personnelles (lié au problème de recueil du consentement, aux bloqueurs de cookies ou encore à la mise à jour 14.5 de l’iOS). Sans ces données personnelles, les publicités Facebook Ads ont encore de la valeur, mais beaucoup moins.

Peine perdue, trois mois plus tard, début février 2022, le cours de Facebook chute de 25%, en une seule journée (et sans rapport avec la guerre en Ukraine, précisons-le).

On a lu, ici et là, que l’érosion de son audience (passée de 1,930 milliards en 2020 à 1,929 milliards en 2021, soit une baisse de 0,1%) était à l’origine de cette chute. Mais réfléchissons, qu’est-ce qui est le plus grave ? Perdre 0,1% d’audience ou plus de 50% des données personnelles qui permettaient de revendre à prix d’or la publicité ?

Pourquoi s’arrêter sur les Facebook Ads, alors que l’on traite du Metaverse ?

Parce que sans ce problème de captation de données personnelles qui obèrent ses perspectives, Facebook n’aurait pas eu besoin du metaverse et encore moins de se rebaptiser « Meta ».

Parce que Facebook sait que la poule aux œufs d’or que représentait la publicité ciblée grâce à des données personnelles facilement collectées, va se transformer en poule aux œufs d’argent, que le CA va en pâtir et que les investisseurs vont sanctionner le cours de bourse de l'entreprise. Pour bien comprendre l'enjeu pour Facebook, la publicité Facebook Ads est devenue tellement moins efficace qu’un pan entier de l’ecommerce a vu ses perspectives s’assombrir: les DNVB (Digital Native Vertical Brands) - essentiellement des marques de modes nées avec internet- et acquérant l’essentiel de leurs nouveaux clients via des campagnes Facebook Ads.

Il fallait donc que Facebook vende une nouvelle aventure aux investisseurs.

Une aventure qui soit cohérente avec l’historique de Facebook.

Or, Facebook a misé sur la réalité virtuelle avec le rachat d’Oculus Rift en 2014, dont personne ne veut du masque de RV en dehors d’accros aux yeux vidéo.

Facebook a donc, annoncé investir 10 milliards d’investissement dans le metaverse pour crédibiliser son nouveau positionnement.

C’est ce qui a convaincu une majorité de professionnels à s’intéresser au metaverse.

Si Marc Zuckerberg y croit et mise autant, non seulement, c’est quelque chose d’important, mais en outre, cela ne peut que fonctionner.

En tout cas, c'est ce que l'on est sensé croire.

Petit soucis : les milliards ne font pas tout.

Sinon, Microsoft aurait un moteur de recherche aussi utilisé que celui de Google.

Sinon, Google serait un leader des réseaux sociaux

Sinon, Carrefour serait leader de l’ecommerce.

De nombreuses entreprises disposant de milliards de capacité d’investissement, ne parviennent pas toujours à prendre des parts de marché sur des marchés en développement et encore plus rarement, à lancer de nouvelles tendances.

Facebook ne fait pas exception. Depuis le rachat réussi d’Instagram en 2011, Facebook échoue à trouver investir de nouveaux segments de marché : échecs répétés à devenir une plateforme d’ecommerce, à lancer des monnaies en mode centralisé ou décentralisé (lorsque les cryptos sont devenues à la mode), à faire jeu égal dans le domaine de la vidéo avec Youtube (c’était le défi de 2015).

Il n’y a pas de raison objective à ce que les projets de réalité virtuelle de Facebook rencontrent plus de succès auprès du grand public, que durant la période 2014-2022, fussent-ils habillés du nouveau concept marketing du metaverse.

Si je me suis efforcé de démontrer que l’intérêt récent pour le metaverse trouvait son origine dans les difficultés de Facebook/Meta, mais qu’en est-il des usages de la technologie centrale du metaverse, la réalité virtuelle et de sa cousine, la réalité augmentée ?

Peut-être que d'autres entreprises peuvent ouvrir le marché...

Metaverse = Web 3 = réalité virtuelle + réalité augmentée + blockchain + ?

Le début de cet article expliquait qu'un metaverse était un univers en réalité virtuelle dont les membres étaient représentés par des avatars et pouvaient réaliser un certain nombre d'actions.

Mais la réalité augmentée est venue rejoindre la réalité virtuelle dans le metaverse.

Point commun entre la réalité virtuelle et la réalité augmentée, elles se sont diffusées au cours des 15 dernières années moins vite que cela n'était prévu.

Mais quelle est la différence entre réalité virtuelle et réalité augmentée ?

Réalité virtuelle

La réalité virtuelle consiste à créer des images en trois dimensions (3D) d'objets ou personnes.

 

Jeu vidéo en réalité augmentée

La réalité virtuelle est utilisée, depuis longtemps, dans un contexte professionnel, dans ce très nombreux domaines, parmi lesquels :

  • L’immobilier (qui permet de réaliser des visites virtuelles très réalistes de biens qui ne sont pas encore sortis de terre.
  • La formation (en particulier dans le domaine militaire et médical)
  • La médecine (elle permet de réaliser des opérations d’entrainement en 3D en préparation aux opérations)
  • L’industrie qui recours à la Conception Assistée par Ordinateur (modélisation de futurs objets afin de tester leur propriété en 3D)

Mais on reste là dans des espaces virtuels fermés (et non des univers à partir entière où l’on est susceptible de rencontrer d’autres utilisateurs et de socialiser).

Pour le grand public, c’est le domaine des jeux vidéo où la réalité virtuelle rencontre le plus grand succès.

On peut utiliser la réalité virtuelle à travers

  • de simples écrans d'ordinateurs,
  • de masques,
  • de smartphones ou tablettes ordinaires en téléchargeant des applications.

Mais, en dépit de son potentiel théorique, le marché de la réalité virtuelle décolle beaucoup plus progressivement que prévu il y a encore 10 ans. Ainsi, le marché réel de la réalité virtuelle se limite à 22 milliards de dollars (source : Grand View Research) alors que les études de 2016 prévoyait 117 milliards de dollars pour la réalité augmentée en 2022 (source : Research and Markets)

C’est pourquoi il faut prendre beaucoup de recul sur tous les concepts liés à la réalité virtuelle, le metaverse en faisant partie.

Les raisons du « retard » de diffusion de la VR ?

-       Les terminaux restent couteux,

-       Les killer apps se limitent à l’univers du jeu,

-       La réalité virtuelle sollicite et fatigue beaucoup plus les organismes que la consommation de vidéo ou de réseaux sociaux, par exemple.

La réalité augmentée

La réalité augmentée est une technologie qui n’était initialement pas associée au metaverse, qui était un univers purement virtuel, mais qui y désormais incluse par certains experts.

Exemple d'application de réalité augmentée - Jeu Pokemon Go

La réalité augmentée consiste à superposer des informations ou des objets sur des images du monde réel. Il peut s’agir, par exemple :

  • de déguisement sur le visage d’un utilisateur de Snapchat,
  • de créatures imaginaires dans une ville dans le cadre du jeu Pokemon Go,
  • de meubles du catalogue Ikea sur la vidéo de votre salon/

On peut utiliser la réalité augmentée à travers

  • des masques,
  • des lunettes dédiées, comme les Google Glasses qui a tenté de populariser la réalité augmentée, mais sans succès,
  • des smartphones ou tablettes ordinaires en téléchargeant des applications.

Cette technologie présente un potentiel important, mais tout comme la réalité virtuelle, mais n’est jamais parvenu à proprement décoller, comme en atteste les études de marché :

-       En 2014, Semico Research prévoyait que le marché de la réalité augmentée atteindrait 600 milliards de dollars en 2016.

-       En 2021, le marche de réalité augmenté n’avait pourtant atteint que 25 milliards de dollars.

Les freins au développement de la réalité augmentée sont assez proches de ceux de la réalité virtuelle

  • Les terminaux restent couteux,
  • Les killer apps n'existent pas réellement.

Et la décentralisation, la blockchain, les cryptomonnaies et les NFTs se sont invitées dans le Metaverse

Ensuite, dans le courant de l'année 2021, le concept de metaverse a absorbé sans aucune cohérence ou nécessité, d'autres technologies à la mode comme la blockchain et les NFT. Bien entendu, les cryptos sont de la partie. Le tout forme ce que certains gourous nomment le Web 3, qui est, en réalité, un fourre tout.

Initialement, le web 3 représentait des technologies fondées sur la blockchain (qui ne parvient pas à s'imposer, en dehors des cryptomonnaies prisées par les spéculateurs de tous niveaux et d'une poignée d'applications utiles comme les blockchains permettant la tracabilité des aliments) et qui visaient à ré-inventer un internet décentralisé, c'est à dire, ni contrôlé par des états, ni contrôlé par des entreprises comme les GAFAMS. La "décentralisation" au sens digital du terme, correspond à un système libertaire, censé être plus vertueux que l'internet historique contrôlé par des entités bien identifiées. Personne ne contrôle les applications décentralisées qui, en théorie, fonctionnent, sans appartenir à personne. Dans la pratique, les deux principaux exemples d'internet décentralisé qui se sont développés grâce à la blockchain, à savoir les cryptomonnaies et les NFTs sont le royaume des manipulateurs en tout genre, qui opèrent en toute anonymité et impunité au détriment des petits investisseurs qui ne font pas partie de quelques centaines d'individus dans le monde qui manipulent les cours des cryptomonnaies et des NFTs.

La décentralisation, version blockchain, ne semble ni plus, ni moins vertueuse que l'internet dit "centralisé".

Mais la décentralisation fait partie du "pack" Web 3 et donc du metaverse.

C'est ainsi.

Mon interprétation très personnelle de ce rapprochement entre réalité virtuelle et "décentralisation" dans le metaverse n'est nullement idéologique contrairement à ce que prétendent les gourous. Il est, selon moi, purement économique: les créateurs des metaverses peuvent financer le développement de leurs univers en lançant des ICOs (c'est-à-dire en créant une nouvelle cryptomonnaie, par essence, décentralisée, qui les rend immédiatement riches s'ils parviennent à convaincre leurs utilisateurs de l'acheter avec des bitcoins que les fondateurs échangeront ensuite contre des dollars).

On comprend donc, que le metaverse pur des origines a, quelque peu, muté en intégrant la blockchain et ses dérivés, les cryptomonnaies et les NFTs.

La réalité actuelle du metaverse

La différence entre les simples applications de réalité virtuelle et le metaverse est que le metaverse est un univers en 3D au sein duquel on peut se déplacer et se connecter à d’autres utilisateurs.

La valeur ajoutée est donc différente : on peut y collaborer, co-construire, réaliser des transactions ou bien encore y faire des rencontres amicales, professionnelles ou amoureuses.

Ce que l’on appelle les effets de réseaux jouent donc un rôle fondamental. Plus grand est le nombre d’utilisateurs, plus importante est la valeur qu’un utilisateur trouvera dans un metaverse, exactement comme sur un réseau social ordinaire.

En théorie, donc, le potentiel est très important.

Dans la réalité, les statistiques d’usage des metaverses de nouvelle génération sont très proches de celles de Second Life le précurseur (moins d'un million d'utilisateurs actifs au moins une fois par mois pour Secondlife contre 300 000 pour Decentraland, l’un des metaverse les plus connus). C’est de l’ordre de 1000 fois moins que pour les réseaux sociaux « en perte de vitesse » comme Facebook.

Plan de parcelle à acheter sur Decentraland

Construction d'une parcelle sur Decentraland

Et pourtant, ce n’est pas faute de couverture médiatique : des centaines de milliers de geeks, d’investisseurs et de spéculateurs misent sur le metaverse et rêvent d’y faire fortune, par exemple, en achetant des terrains virtuels dans le metaverse (on entend dans les conférences que certaines parcelles achetées $20 en 2017 se sont revendues $2 millions en 2021) s'époumone à vanter les mérites du metaverse. Des start ups ont même été créées dans le but unique d’investir (spéculer) dans l’immobilier virtuel. Certains investisseurs institutionnels feraient apparement de même. Cela laisse perplexe.

Je me suis même laisser dire d’un célèbre gourou du digital franco-libanais qui a du s’exhiler à Dubai après avoir détourné un peu trop d’argent de l’un des incubateurs parisiens les plus en vue, misait désormais sur la création d’un metaverse adossait à une cryptomonnaie. En tout cas, c’est ce qu’il annonce sur Youtube.

La réalité des chiffres est que peu d’investisseurs dans l’immobilier virtuel du metaverse, réalisent des plus values avec ce type d’activité spéculative. Comme le rappelle les spécialistes, l’immobilier réel rapporte parce que les prix augmentent mais aussi parce qu’un bien immobilier se loue et rapporte de l’argent. L’immobilier virtuel, lui, ne rapporte pour le moment rien qui puisse ressembler à un loyer et n’a que le statut d’actif spéculatif, très risqué puisqu’il peut ne plus rien valoir du jour au lendemain si la société qui le gère ferme ses portes ou tout simplement si le cours de la cryptomonnaie dans laquelle il s’achète, s’écroule. Ainsi la valeur en dollars des parcelles de Decentraland a été multipliée par 4 entre septembre et novembre 2021, puis été divisée par 4 en novembre et mai 2022, du simple fait de la variation des cours de la crypto de Decentraland, le MANA.

Dans ce contexte, évidement, pour protéger leurs investissements, tous ceux qui ont déjà investi ont intérêt à expliquer que l’avenir est au metaverse, à afficher leurs plus-values lorsqu’ils en font et à cacher leurs moins-values lorsqu’ils en font.

On trouvera aussi d’autres promoteurs de l’investissement dans l’immobilier virtuel dans le metaverse: ceux qui touchent des commissions à chaque fois qu’un nouveau membre investit sur leurs recommandations. C’est ce qui a causé la ruine de nombreux millenials apprentis investisseurs, qui se sont laissés convaincre par des « influenceurs crypto » de Youtube qui encourageaient leurs abonnés à participer à des ICO de nouvelles cryptos (du metaverse ou non), parce qu’ils touchaient des commissions à l’instar d’un conseiller financier qui refourguerait, avant 2007, des produits financiers douteux intégrant des subprimes pour toucher sa commission.

Evidemment, le discours officiel présente d’autres applications plus politiquement acceptables du metaverse, mais, dans la vraie vie, la seule autre application qui rencontre un franc succès dans le metaverse sont les jeux vidéos en lignes comme World of Warcraft, ou Habbo Hotel.

L'univers du jeu vidéo / metaverse Habbo Hotel

aujourd'hui, le metaverse, bien que ce soit, en réalité des jeux vidéos auxquels jouaient des millions de joueurs.

Ce faisant, les promoteurs du metaverse ont probablement multiplié, totalement artificiellement, par 100 le nombre d’utilisateurs du metaverse, en intégrant ces millions de joueurs de jeux vidéos, qui n’avaient jamais entendu parlé du metaverse.

Résumons-nous, la réalité du metaverse, ce sont

-       Quelques centaines de milliers d’utilisateurs qui ressemblent souvent à des investisseurs,

-       Des centaines de millions de joueurs de vidéo incorporés de force dans les rangs de l’armée du metaverse,

-       Les autres, difficiles à dénombrer, qui ont été attiré dans ce nouvel univers et qui en sont des utilisateurs « sincères ».

Pour toutes ces raisons, il me parait,donc, audacieux d’annoncer que le metaverse va révolutionner l’internet.

Le Metaverse, gouffre écologique

Mais le plus important est que le metaverse, tel qu’il est imaginé actuellement, ne va faire qu’aggraver la crise écologique.

Je sais que le monde du digital n’aime pas envisager les conséquences de ses choix sur l’environnement.

Mais, au bout d’un moment, il faut regarder la réalité en face.

Nous sommes arrivés à un moment pivot : les effets du réchauffement climatique deviennent concrets et ne sont plus discutables. La question n’est plus de savoir s’il va y avoir réchauffement climatique ou s’il va nous toucher, mais de quelle va être son ampleur : ses conséquences seront-elles très graves ou catastrophiques ?

Le digital contribue déjà à hauteur de 2%, 3% ou 4% des émissions de CO2 de la planète, selon les études. Ce chiffre est en croissante d’autant plus forte que les usages digitaux sont en croissance et que les principaux acteurs poussent au renouvellement des technologies : ordinateurs, smartphone, serveurs d’hébergement…

Les émissions de CO2 du digital sont à la fois liée :

-       La production des ordinateurs, serveurs, hub, antennes 5G et de smartphones : de l’extraction des métaux (rares ou communs) très émettrice de CO2 à la fabrication en usine des serveurs, terminaux et matériels nécessaires au fonctionnement des réseaux,

-       A la construction et la maintenance des réseaux physiques (cables sous marin, relais 4G, 5G, intranet, satellites...),

-       A la consommation d’énergie (électricité nucléaire décarbonée en France, mais relativement carbonée dans le reste du monde) nécessaire au fonctionnement des terminaux, mais aussi des data centers et des réseaux,

-       A la faible quantité de matériels recyclés (10% des smartphones seulement recyclés en France et probablement 0% des masques de réalité augmentée et autres objets connectés),

Tous les choix que nous réalisons autour du numérique auront un impact marginal sur les émissions de CO2. Compte tenu de là où en est la trajectoire du réchauffement climatique, les gains ou pertes marginaux auront un impact important.

Le metaverse, pour fonctionner, nécessite :

-       de nouveaux serveurs allumés en permanence,

-       des serveurs dotés d’importantes capacités de calcul),

-       de nouveaux terminaux puissants (smartphones, masques de VR...) pour le faire fonctionner chez les utilisateurs,

-       une augmentation du volume déjà important de données transférées,

De quoi aggraver le bilan carbone du digital et annuler les gains résultants des efforts pour rendre le services d’hébergement moins gourmands en énergie ou renouveler moins souvent notre matériel informatique.

Je ne fais pas partie des décroissants ou des collapsologues, mais je crois qu’aujourd’hui, nous n’avons plus le choix que, d’une part, de systématiquement juger de l’intérêt d’une innovation technologique et, d’autre part, d’évaluer l’impact écologique afin de estimer le ratio [intérêt]/[impact écologique].

Dans le cas du Metaverse, vous avez compris que, selon moi, le ratio n’est pas bon.

Le Metaverse pourrait aussi éloigner les internautes de la vraie vie

Certaines études comme celles de We are Social / Hootsuite affirme que l’internaute lambda (c’est-à-dire vous ou moi) passe déjà 7h sur internet sur les 24h qui composent une journée. Moins 8 heures de sommeil et 2 heures consacrées à l’hygiène et aux repas, restent 7 heures pour la vraie vie : loisirs, enfants, parents amis, culture, spiritualité, éducation, sports, activité artistiques ou créatives, solidarité, voyage, maison/jardin. Nous sommes déjà arrivés à un point où le temps consacré à la vraie vie n’est plus que de 50% de notre temps choisi (hors contraintes de sommeil, d’hygiène et de restauration).

Je ne pense que le metaverse soit de nature à augmenter le temps restant pour la « vraie » vie.

Encore un point de moins pour le metaverse.

Mon humble avis

L’avenir du metaverse est moins rose que ce qui nous est vendu.

Attendu que le potentiel du metaverse pour les entreprises traditionnelles n’est peut-être pas aussi important que prévu, les professionnels du marketing digital auront intérêt à

  • mener une veille pour identifier, au sein de toutes les expérimentations que lancent les entreprises « classiques » actuellement, celles qui réussissent
  • évaluer la rentabilité de ces opérations
  • comprendre si ce type d’action est compatible avec leur mission d’entreprise, leur valeur et ses choix en matière de développement durable

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